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  .Expertises

Vue d´ensemble de Notre-Dame l´ancienne de Behzina, avril 2008
 
L´entrée principale
 
Plan au sol relevé par Raffi Gergian, octobre 2008
 
La chapelle septentrionale
 
La chapelle méridionale
 
La cloison entre les deux chapelles
 
L´état dégradé de la conque de l´abside
 
Restauration sauvage du mur sud
 
Restauration grossière du chevet polygonal
 
Croquis de la pierre à croix byzantine inscrite dans un triple cercle gemmée
 
NOTRE-DAME DE L’ASSOMPTION (ROUQAD AS-SAYDÉ) DE BEHZINA
Évêché du Hosn, Diocèse du Akkar

Rapport d’expertise historique et archéologique


Depuis les années 1950, Notre-Dame de l’Assomption est l’église paroissiale de Behzina, un village qui se trouve dans la partie syrienne de la plaine du Akkar. Cette église est petite et occupe une terrasse agricole en contrebas des habitations de ce bourg. Auparavant, ce n’était qu’une chapelle votive, car la localité était très peu peuplée et ne formait pas alors une paroisse.

L’église est aujourd’hui dans un état délabré et risque de s’effondrer. On ne la restaure plus depuis qu’une église moderne, qui porte la même dédicace, est en train d’être construite plus haut, sur le versant opposé, pour la remplacer.

Notre-Dame est pourtant un monument historique. Elle remonte au Moyen Âge, ayant surgi à l’endroit ou à côté d’un sanctuaire d’âge byzantin dont des blocs de basalte, sculptés de croix typiques de cette période, sont en remploi dans la façade principale. C’est dire que la chapelle a plus de 1000 ans d’âge. Sur la suite de son histoire, on ne sait pas grand chose si ce n’est qu’elle fut incendiée sous le Mamelouks. C’est ce que les villageois nous ont rapporté, sans justification aucune de leurs dires. De notre côté, nous n’avons retrouvé aucun vestige pour témoigner des phases ultérieures de réhabilitation ou de reconstruction.

Aspect extérieur

Comme toutes les chapelles vernaculaires du monde rural, Notre-Dame de Behzina a la forme d’un cube rabaissé. Elle s’inscrit dans le paysage avec harmonie, ajoutant à l’aspect pittoresque des lieux. N’était-ce le clocher qui est seul à se détacher de cet ensemble aux façades dégarnies, cette construction ne suggère pas la présence d’un lieu de culte. Le clocher est d’ailleurs récent et entièrement construit de béton. Selon le savoir faire local, sa coupole est de forme ovoïde. Dans le passé, les églises et les chapelles du Proche-Orient ne comportaient pas de clocher. Elles disposaient par contre d’une simandre, dite « naqous » en arabe, s’agissant d’une barre de bois ou de fer, libre ou suspendue à un mur, et que l'on faisait tinter à l’aide d'un maillet aux heures de prières.

La chapelle est entièrement construite de pierres de basalte, de taille irrégulière et nues. Parmi celles-ci, on distingue des linteaux et quelques gros blocs antiques en basalte qui sont appareillés dans le mur de la façade occidentale et aux angles de l’édifice. L’un d’eux, à l’angle sud-ouest, est en calcaire blanc. Le bloc en remploi dans le montant de la fenêtre est d’une taille impressionnante. Au milieu du bloc qui sert de montant à la porte, on note la présence d’un creux peu large et profond de quelques centimètres. Il s’agirait d’une crapaudine, ce bloc ayant probablement servi de seuil à une porte antérieure ayant appartenu à la chapelle ou au sanctuaire qui l’aurait précédée. En arabe, les maçons appellent ce type de bloc « hajar an-noqta », noqta signifiant ici « point d’impact ». On trouve une trace similaire sur un autre bloc, de taille plus petite et appareillé à l’angle sud-ouest.

Le plan de la chapelle figure un carré prolongé par un chevet semi-polygonal. Quant aux murs, ils ont plus d’un mètre d’épaisseur et sont en kalline, une expression qui signifie que la maçonnerie est constituée de deux murs de pierres qui emprisonnent un remplissage fait de moellons et de mortier. Ces murs sont aveugles, hormis sur la façade occidentale qui est percée d’une porte basse flanquée de deux fenêtres rectangulaires latérales. Ces dernières ont tout l’air de portes dont le bas aurait été obturé pour former des baies.


Structure

L’originalité de Notre-Dame l’ancienne de Behzina réside dans sa structure, s’agissant d’une chapelle double, composée donc de deux nefs et de deux absides abritant chacune un autel dédié à un saint. Les deux absides sont saillantes et inscrites dans un même chevet de volume polygonal.

Il ne s’agit pas de deux églises accolées l’une à l’autre ; les deux nefs font partie d’un même programme architectural, étant séparées par un mur épais percé d’une arcade basse et brisée et d’un autre passage, cintré et étroit. Deux voûtes en berceau brisé servent d’ossature à cet ensemble, qui est recouvert d’une terrasse de terre aujourd’hui protégée par une chape en ciment. Ce type d’église est plutôt rare tant en Syrie qu’au Proche-Orient de manière générale.


Fonction

Cette structure laisse supposer que le monument, avant d’être transformé en paroisse au milieu du siècle dernier, possédait deux fonctions : une votive et une autre funéraire ou baptismale, à comparer avec des monuments similaires se trouvant en Syrie et au Liban. Mais nous n’avons trouvé aucune trace de reliquaire, de cuve baptismale, ou d’autres vestiges, pour corroborer l’une ou l’autre hypothèse. Nous savons seulement que la cour devant et au sud de l’édifice servait autrefois de cimetière.

Dans ce genre de monument, la chapelle méridionale est la principale. Sa dédicace donne son nom au site. La chapelle septentrionale est annexe, dans ce sens que sa fonction est auxiliaire. Mais comme aujourd’hui les deux autels sont consacrés à la Vierge, il se pourrait encore que la nef annexe ait servi de gynécée quand la chapelle votive fut transformée en paroisse.

Nous ne savons pas si ce sanctuaire a toujours été consacré à la Vierge et, dans le cas contraire, à quel autre saint était dédié l’autel septentrional. Il s’agit habituellement d’un saint protecteur, un saint militaire par exemple, comme saint Georges ou l’archange Michel, ou d’un saint intercesseur, ainsi saint Jean-Baptiste. Mais cette dernière supposition est à écarter. Car, dans les villages, chaque chapelle votive est habituellement consacrée à un saint titulaire qui lui est particulier. Or il existait une chapelle médiévale dédiée à saint Jean-Baptiste, située sur les hauteurs de Behzina et dont il ne reste plus par ailleurs que quelques traces au sol entourées de vieilles sépultures dans un état avancé de ruine.

État de conservation

Quoi qu’il soit, le monument est dans un état considérablement dégradé. Les travaux qui ont récemment été effectués, dans l’urgence et avec les moyens de bord, utilisent maladroitement des moellons de basalte ou de calcaire et du ciment pour colmater les trous ou relever les parties effondrées. C’est ainsi que fut rapidement restaurée la partie sud du chevet. En outre, pour porter la charge de la chape de béton qui recouvre le toit, deux vilains piliers de béton armé ont été dressés de chaque côté du mur de ce chevet.

À l’intérieur, les réparations n’ont pas plus de succès. Les parois ont perdu leur enduit à la chaux d’origine. La couche qui les recouvre à présent est en béton grossièrement étalé et badigeonné. La surface de ces parois est irrégulière, ainsi que l’épaisseur des murs et la forme de l’ébrasement des fenêtres et de la porte. Et l’arcade et le passage entre les deux nefs sont difformes. Une des deux tables d’autel a été reconstruite en parpaings et la corniche de l’abside quasiment écorchée. Quant au mur occidental, il souffre gravement de problèmes d’étanchéité.

Il n’y a pas longtemps, le sol de la chapelle fut revêtu d’un dallage moderne. Mais on retrouve encore les anciennes et belles dalles de basalte éparpillées à l’extérieur, sur le côté sud de la cour, ainsi qu’une pierre plate ayant servi de marche devant l’entrée ou de solea au pied de la porte centrale de l’iconostase.

Des travaux de restauration pour rendre à ce monument historique un tant soit peu de son aspect original sont urgents. L’enquête menée par l’équipe ARPOA de l’Université de Balamand entre 2004 et 2008 a démontré la rareté des églises doubles en Syrie comme au Liban. Notre-Dame de Behzina se présente donc comme un cas d’espèce qui mérite une étude approfondie en archéologie monumentale, ne serait-ce d’ailleurs que pour ses vestiges byzantins. À ce titre, elle gagne à être préservée. D’autant plus que la chapelle remonte au Moyen Âge et qu’il est alors au surplus possible que l’on retrouve des fresques sous l’enduit des conques absidales. C’est habituellement le cas dans les églises de ce type et de cet âge.

Les vieilles chapelles sont des lieux de pèlerinage et de dévotion tout-à-fait particuliers. Elles attirent des fidèles de dizaines de kilomètres à la ronde. Pour les croyants, les restaurer est non seulement un acte de foi, mais aussi un moyen par lequel ils expriment leur ancrage dans leurs lieux de vie. Ici la restauration est d’autant plus urgente que le débordement du barrage de Tell al-Hoch, construit non loin de là il y a quelques années, est susceptible de mettre cette église en péril après les fortes saisons de pluie.

La restauration des vieux monuments est un travail minutieux et scientifique. Il ne peut être entrepris que par des restaurateurs spécialisés. L’équipe ARPOA de l’Université de Balamand peut offrir conseils et expertises.

 

May Davie
Directrice d’ARPOA
Janvier 2009

En savoir plus sur http://home.balamand.edu.lb/english/ARPOA.asp?id=13031&fid=270

 

 

© Université de Balamand, Mise à jour août 29, 2014