C'est en 1904 que commença l'édification de cette église sur le sommet de Qennabet, quand le Cénobion de Saint Antoine , installé autrefois plus bas dans la vallée par des moines russes, a incité les métayers et des artisans de Broummana à s'installer de manière définitive à Qennabet et à fonder une nouvelle paroisse. Une plaque fixée au-dessus de la porte sud commémore cette fondation.
Cette église, que l'on appelle tout simplement "Saydé" en arabe, est l'œuvre de Mansour Youssef Najm, un maître en bâtiments du village orthodoxe de Ain as-Sindiané dans le Haut Metn. L'accord (Ittifaq) qu'il signa avec les gérants (wakils) en date du 12 juillet 1904 stipule entre autres de prendre pour modèle la nouvelle église des maronites de Nabay. L'église est consacrée à la fête de Pâques de 1905.
Comme toutes les églises construites à cette époque, Saydé est un monument rectangulaire imposant. Il est long d'environ 20 m et large et haut de plus de 8 m. Par sa taille, il contraste avec les églises basses classiques de la montagne d'avant le XIXe siècle. Son architecture reprend le plan intérieur et les formes extérieures pures de ces anciens sanctuaires, tout en reformulant leur gabarit. Ce renouveau architectural fut possible dans le Mont Liban par l'adoption de techniques constructives et de matériaux nouveaux : poutres industrielles de forme standardisée en bois ou en acier, toits en charpente, tuiles rouges importées, visserie...
Les murs de cet imposant édifice sont de double épaisseur. À l'extérieur, ils présentent un appareillage caractéristique de cette période qui couvre la deuxième moitié du XIXe et le premier quart du XXe siècles. Des pierres équarries à bossage rustique les composent. Elles ont été taillées dans du calcaire blanc provenant des environs de Qennabet. Par endroits, ces pierres blanches que l'on appelle al'aji sont agrémentées par d'autres, de couleur ocre et dites brayji. Celles-ci peuvent comporter quelques traces de couleur noire (naqché sawda).
Tout aussi classique de cette période est le toit de tuiles rouges de Marseille, montées sur charpente par-dessus un plafond en bois que l'on appelait alors en langue turque qafatakhta. Celui-ci était composé de poutres, solives et lattes. Il serait l’œuvre d’un menuisier de la famille Aswad de Broummana. Typiques encore sont les portes et les fenêtres : toutes coiffées de frontons triangulaires ( qaws younani ) et encadrées de pierres jaunes, elles brisent la monotonie de la couleur blanche de l'édifice.
Une tour de clocher à deux niveaux surmontés d'un lanterneau flanque le monument à l'angle sud-ouest. Son édification a commencé en 1950 et ne se termina qu'en 1977, par la pose d'une croix tréflée en pierre sur son sommet. Cette dernière est l'œuvre du maître Kheir Nawfal, un fidèle de la paroisse. La cloche elle-même provient de la fabrique des Naffaa de Beit Chabab.
Au départ, l'église n'utilisait pas la cloche mais le traditionnel naqous, une sorte de barre métallique installée sur un des murs et que l'on faisait résonner grâce à un battant de pierre ou de métal. À Saydé de Qennabet, celui-ci était accroché à la verticale sur le chevet de l'église qui porte encore la trace de ses heurts réguliers contre la pierre pour le faire tinter. Le naqous a été conservé par un fidèle de la paroisse.
Avant d'être montée sur la tour, la cloche moderne était suspendue par deux chevalets de bois, placés sous le vieux caroubier qui tenait compagnie à l'église et qui occupait la cour devant son entrée sud. Depuis quelques années, le caroubier a été arraché pour agrandir la cour et faciliter l'accès au monument par voiture. Deux cyprès, plantés récemment juste à la porte sud de l'église, tiennent aujourd'hui le rôle du vieux caroubier. En contrebas et en partie sous la cour, des dépendances nouvelles donnant sur la route principale du village sont en construction.
L'intérieur de Saydé est une salle de forme rectangulaire. À l'ouest, du côté de la porte d'entrée, le sol est surélevé d'une vingtaine de centimètres sur toute la largeur de l'édifice et sur une profondeur d'environ trois mètres. C'est là que se tenait autrefois le bayt an nisa', la partie attribuée aux femmes et généralement séparée du reste de la nef par une claire-voie ou chabak. Le parterre porte encore sa couverture d'origine, de grandes dalles de pierre jaune d'une extrême solidité et appelée fourni.
L'iconostase en marbre est une copie de celle de l'église Saint Georges de Broummana . Elle fut travaillée par le prêtre maronite de Broummana, feu père Toubia al-Achkar. À l'origine, l'autel était de pierre ; il est aujourd'hui plaqué de marbre. L'abside, quant à elle, est un arc aveugle brisé, dégagé dans l'épaisseur du mur. Elle porte une fenêtre rectangulaire sur sa partie supérieure. Son chevet est plat.
On trouve dans cette église une belle icône de la Vierge, œuvre de Mikhaïl Mhanna al-Qodsi datée de 1864. Deux autres images sont remarquables : Saint Georges et Saint Élie, toutes les deux peintes par la religieuse Palégia Tébéchrani, en 1957. Quant aux grandes icônes de l'iconostase, elles sont toutes de Toni Majdalani qui les a réalisées en 1999. Une curiosité : une image russe du Christ, imprimée sur zinc de manière industrielle, provenant sans doute du couvent des moines cénobites russes et datant du début du XXe siècle.
En octobre 1990, durant la dernière guerre civile, un obus défonce le toit à deux pentes de l'église. Les poutres rondes en bois du plafond sont remplacées par une dalle en béton armé. Du côté intérieur, les rebords de cette dalle sont surbaissés, telle une voûte à pan, pour rappeler la forme de l'ancien plafond. Ce dernier aurait été exécuté par un menuisier de Broummana, de la famille Aswad.
Les éclats de l'obus avaient atteint également l'iconostase de marbre. Celle-ci fut restaurée à l'identique par le maître constructeur et marbrier Morchid Nawfal, qui renouvela aussi le socle de la croix qui la couronne. C'est à ce moment que l'autel de pierre fut recouvert de marbre. On profita encore des travaux pour décaper l'enduit à la chaux des murs intérieurs, exhibant la pierre nue et son appareillage irrégulier. Cette opération élimina la ligne de motifs colorés qui les parcouraient sur leur partie supérieure. Au Liban, la mode de décaper les murs remonte aux années 1960. Dans ce pays, on pense toujours, et à tort, qu'en décapant leur enduit, on rend aux lieux de culte leur aspect d'antan.
May Davie
2005
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