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Le martyrion de Saint Georges d´Ezraa
 
Des fidèles assistant à la messe en costume traditionnel hauranais
 
L´église avant sa restauration en 1911
 
Oculus portant une croix
 
L´autel formé de blocs antiques taillés et de pierres brutes
 
L´intérieur : une atmosphère magique
 
En remplacement de l´ancienne, une nouvelle porte en basalte
 
Église Saint Georges (Mar Girjos) de Ezraa

Notice historique

Un trésor menacé

L'église Saint Georges de Ezraa fut construite au début du VIe  siècle. Ce monument atteste du style architectural ecclésiastique caractéristique de cette époque.

En 1865, l'archéologue français, le comte Charles Melchior de Vogüé, visita l'église et livra une étude détaillée à laquelle se réfèrent encore des historiens et archéologues contemporains. Il écrivit : " Ce monument est certainement le plus intéressant de tous les édifices chrétiens de cette région "[1]. Ce même monument est aujourd'hui menacé d'effondrement.

La ville de Ezraa

Ezraa (que l'on dit Zorava, Zorowa ou encore Zerabene) est une cité cananéenne mentionnée dans la Bible. Elle se situe à 800 m d'altitude, au nord du district de Deraa, à 80 km au sud de Damas. Son nom figure dans les textes de Tell al-Amarna, la correspondance entre les souverains d'Égypte et les rois de Syrie vers 1334 avant J.-C.  L'importance de la cité est aussi mise en évidence par des inscriptions grecques et romaines découvertes sur le site. Une de ces inscriptions, trouvée par l'archéologue Richter, nous apprend que la cité a été élevée au rang de metrokomia (grande cité) sous l'empereur Alexandre Sévère (222-235 avant J.-C.) et qu'elle était connue sous le nom de Zorava[2].

Lejah (en grec, Trachonitis ou " région rocheuse ") forme un triangle avec les villes de Borac pour pointe, de Ezraa au sud-ouest et de Chahba au sud-est[3]. Anciennement, cette région fut une forteresse naturelle. Ni les soldats de Hérode ni les croisés sous Baldwin III ne purent la conquérir, à cause de la difficulté du terrain, du manque d'eau et de la détermination de la population. En 1840, quand Ibrahim Pacha envahit le Hauran, l'église fut pilonnée, et la coupole et l'angle supérieur de l'une des façades gravement endommagés. Pendant la grande insurrection syrienne de 1925-1926, contre les forces du Mandat français[4]
les insurgés se réfugièrent à Ezraa.

Ezraa était une ville prospère au plan culturel, et importante aux plans officiel et militaire. Elle jouissait d´un conseil d'administration distingué. Dans son Taqyim al-Bouldan , l'historien Ismaîl Aboul Fida la décrivit en ces termes : " Ezraa est l'une des grandes villes de Hauran, située à 18 miles de la région de Sanameine ".

Situé à proximité de la Terre Sainte, le Hauran est parmi les premières régions évangélisées du monde. Durant l'époque byzantine, Ezraa devint un siège épiscopal relevant de l'évêché de Bosra de la province d'Arabie[5]. Nonnos, le plus fameux de ses prélats, participa au Concile chalcédonien de 451, à côté de l'archevêque de Bosra et de seize autres évêques d'Arabie. Ils jouèrent tous un rôle majeur dans la propagation du christianisme. Son évêque Auaros est mentionné dans une inscription trouvée dans l'église Saint Élie de Ezraa (542-543). Et le nom de l'évêque Théodoros, dont le son siège était à Zorava, apparaît dans une inscription trouvée à Harran[6].

Aujourd'hui, Ezraa est divisée en deux quartiers : al-Mahatta (la station) et al-Balad (la cité), habités respectivement par 45 et 120 familles chrétiennes menant un genre de vie rural. En raison des difficiles conditions climatiques et économiques, de nombreuses familles ont quitté le Hauran pour s'établir à Damas, au Liban et aussi à l'étranger. De ces familes, citons les Farah, Nseir, Nasrallah, Atieh, Oufan, Bitar, Freige, Dib, Chlaouit, Haddad, Ghanem, Bichara, Chedid, Nmeir, Massoud, Massad, Boutrous, Youssef, Jawabri, Zawahri, Salloum et Dahdal[7].

Un peu d'histoire chrétienne

Dès l'aube du christianisme, vénérer les reliques des saints et les enchâsser dans les églises devint vite une tradition dans le bassin méditerranéen et surtout au Levant. Cette pratique était très répandue en Syrie où beaucoup d'églises et de cathédrales célébraient des offices divins à la mémoire des saints.

Au VIe siècle, la cathédrale de Serge, Bacchus et Léontius tint la première place parmi les églises de la province d'Arabie. Les offices y étaient présidés par l'archevêque en personne. Ezraa était la deuxième en importance, comme l'a considérée Eugène Kleinbauer[8] . En 515, L'église Saint Georges fut édifiée à l'emplacement du temple dédié au dieu Théandros, une divinité  païenne qui était vénérée dans tout le Hauran, notamment à Salkhad, Kanawat, Atil et au sud de Lejah, à Ezraa plus précisément[9].

Sur le linteau de la porte principale, figure une inscription grecque  que traduisit ainsi de Vogüé : " Le rendez-vous des démons est devenu la maison du Seigneur, la lumière du salut éclaire le lieu qu'obscurcissaient les ténèbres, les sacrifices idolâtriques sont remplacés par les choeurs des anges où se célébraient les orgies d'un dieu, se chantaient les louanges de Dieu. Un homme qui aime Le Christ, le notable Jean, fils de Diomède, a offert à Dieu, de ces deniers, ce magnifique monument dans lequel il a placé la précieuse relique du Saint Vainqueur Martyr George, le Saint lui étant apparu, à lui, Jean, non en songe, mais en réalité, en 515 A.D. ".

Ioannes (Jean), fils de Diomède, était membre du conseil des nobles. Il a voulu commémorer  la mémoire du grand  martyr Georges, qui, selon un manuscrit arabe du XIe siècle de la collection du monastère Sainte Catherine du mont Sinaï (417), a été martyrisé et inhumé au Hauran. Cela explique bien l'importance dont jouit Saint Georges auprès des Hauranais, qu'ils soient d'ailleurs chrétiens  ou musulmans.

L'église Saint Georges de Ezraa est aussi connue sous le nom de " Monastère d'Ezraa " ou de " Khoder d'Ezraa " ou encore de " Khoder vivant de Dieu ". Les fidèles de différentes confessions venaient de toute part pour vénérer le saint. 

L'archimandrite Thomas (Bitar) décrit dans son livre Saints oubliés le transfert des reliques du saint de Ezraa  au Lidd de Palestine, lieu de naissance du saint ; et précise qu'il en reste encore au Hauran[10] .

Nombreux archéologues et historiens ont visité l’église d’Ezraa :

- J.L. Porter, qui resta cinq ans en Syrie, voyagea à travers le Hauran. Il décrit l'église de l'extérieur et souligne qu'elle est très belle et que la porte principale était en pierre[11].

- Howard Crosby Buttler rapporte : « Cette église qui antidate les deux églises de Constantinople et de Ravenne jouit d’un plan architectural unique ».

- Sir Banister Fletcher décrit « une église qui témoigne du style religieux à l’époque byzantine à un moment où cet art a trouvé son plein essor ».

- Kevin Butcher observe que « C´est la plus connue et la plus belle » [12].

L'architecture de l'église

Les archéologues la considèrent comme le premier exemple d'édifice chrétien à noyau central, en un temps où régnait le style rectangulaire ou basilical.

L´église est en effet unique par son architecture. Elle est construite en basalte noir, un matériau local. Le plan est d'une extrême simplicité, se composant de deux octogones réguliers concentriques inscrits dans un carré. L'octogone central supporte un tambour et une coupole ovoïde soutenue par huit piliers
[13].

Les deux dernières assises de ce tambour sont faites de dalles qui transforment d'abord l'octogone en un polygone régulier de 16 côtés, puis de 32, de manière à passer graduellement de la forme polygonale au cercle qui sert de base à la calotte. À l'origine, celle-ci était en blocage, ovale et différente du style de l'époque[14]. tambour de la coupole est ouvert de petites fenêtres : c’est le plus ancien exemple existant de système d’éclairage.

Contre la face orientale de l’octogone extérieur est bâti le choeur terminé en abside : c’est là où sont enchâssées les reliques de Saint  Georges. Au fonds de l’abside, se trouvent trois rangs de gradins en hémicycle. Ils sont destinés aux sièges du clergé. Dans chacun des angles du carré, se trouve une absidiole ou exèdre. Dans l’une d’elles, est placée aujourd’hui la nouvelle châsse du saint.

L’entrée principale est ornée d’une croix entourée de deux grappes de raisin, et de l’alpha et l’oméga (le début et la fin) symbolisant Jésus.

État actuel       

L´Église Saint Georges de Ezraa a traversé des moments difficiles qui ont affecté sa structure et sa stabilité :

- En 1840, quand Ibrahim Pacha envahit la région, l'église est pilonnée, occasionnant des dégâts dans la coupole et dans l'une des façades.

- En 1899, suite à un tremblement de terre, la coupole originale s'effondre et les murs se fendent.

- En 2004, un autre tremblement de terre frappe la région. De nouvelles fissures apparaissent.

Au début du XXe siècle, la coupole a été renouvelée, aux frais du tsar Nicolas II de Russie. L´historien Issa Iskandar al-Maalouf décrivit alors en ces lignes l'inauguration présidée par le patriarche Grégoire IV et le métropolite de Bosra Zakharia Zakharia, en juillet 1911 : " Présents à la cérémonie étaient le prince Boris Chakhovski, son interprète à Damas, Youssef Bek al-Sabee, Paolo Karorli, le représentant d'Izmir, à côté du clergé et d'un grand nombre de fidèles. Durant la liturgie, le patriarche inaugura un nouvel autel. Dans son allocation, il fit mention de l'état postérieur de l'église et de sa restauration aux frais du tsar de Russie "[15].

Aujourd'hui, les plaques de zinc de la coupole sont rouillées et le bois est fissuré, laissant l'eau s'infiltrer par le toit. En été 2002, un groupe d'architectes s'est rendu à Ezraa pour inspecter le monument. Un rapport fut alors rédigé, sur l'état de l'église et sur les besoins.

Une interview avec l'architecte Riad al-Akl

Q : Comment pouvez-vous décrire l'état actuel de l'église ?
R : Sans aucun doute, du point de vue de l'histoire de l'art et de l'architecture et vu son âge, cette église est un trésor. L'église est menacée d'effondrement, en raison de son âge et des éléments naturels, le climat sec et les tremblements de terre. Nous avons noté de nombreux dégâts. Les travaux de restauration sont urgents et doivent faire appel à des spécialistes.

Q : Quels dégâts avez-vous constaté ?
R : Les dégâts sont nombreux. Ils touchent la structure, le mobilier et le toit :
- Les murs sont déformés, lézardés et gorgés d'humidité.
- Le bois de la coupole est fissuré et les plaques de zinc rouillées.
- L'eau s'infiltre à travers le toit.
- Les dalles du plancher sont irrégulières et les murs ont besoin d'être nettoyés.
- Les portes et les châssis des fenêtres sont rouillés.
- Le système électrique est archaïque et dangereux.
- Un système de protection paratonnerre fait défaut.
- L'iconostase est vétuste et n'a pas de valeur historique.
- Les icônes sont de simples copies.
- Les objets liturgiques et le mobilier sont endommagés ou manquent.

Q : Quelles sont les démarches à entreprendre ?
R : Il faut tout d'abord assurer une étude des fondations et du sol, puis une étude séismique. La rénovation doit aussi prendre en considération la valeur du monument, qu'il faut restaurer sans le transformer et dont il faut préserver la structure contre l'effondrement.

Le géologue Mahmoud Haidar examina des échantillons des pierres de construction et du sol. Dans une entrevue avec la revue an-Nour, il prévient que " le sol est trop fragile et le basalte trop fort. L'examen des fondations est obligatoire, pour connaître la capacité de support. Le démontage des murs et leur reconstruction sont des démarches à entreprendre. Mais il est urgent d'arrêter d'abord l'infiltration de l'eau par le toit, sinon l'humidité ne fera qu'augmenter et les risques grandir ".

Monseigneur Esber Saba, le métropolite de Bosra-Hauran a lancé un projet d'étude pour la restauration de l'église. Il nous informe que " l'église est sous la garde des ministères de l'Éducation et des Antiquités et que toute mesure devrait être prise sous leur contrôle. Nous avons préparé deux études, l'une faite par l'Université américaine de Beyrouth, l'autre par un groupe privé d'architectes. Les premières mesures que nous allons prendre sont destinées à limiter les risques d'effondrement.

C'est à cette fin que le comité des amis de l'église Saint Georges à Ezraa fut créé. Il s'adresse ici à tout fidèle persuadé que l'église du Christ doit être dénuée d'imperfection. L'église Saint Georges appelle à l'aide les fidèles : " Nettoyez-moi de la poussière de mon pénible passé afin que je retrouve ma splendeur et ma beauté et puisse vous élever de nouveau vers votre patrie céleste ".

Loulou Saybaa
Comité des amis de l’église Saint George de Ezraa - Hauran
Article publié par la revue An-Nour (Liban), 2004.


[1] C.M. De Vogüé, La Syrie centrale,1865 .
[2] Rev. J.L. Porter, Five years in Damascus and Hauran, 1855 .
[3] M. Sartre, L'Orient romain: provinces et sociétés provinciales en Méditerannée orientale d'Auguste aux Sévères (31 avant J.-C.-235 après J.-C.), Éd. du Seuil, 1991 .
[4] M. Sartre, Bostra, des origines à l'Islam, Paris, 1985 .
[5] M. Picirillo, L' Arabie chrétienne, Mengès, 2002 .
[6] Ibid, p. 79 .
[7] Raed Jreidini, Aouda' al-rum al-orthodox al-wafidin ila Beirut mattlaa' al- qarn al-'ishriin, UOB, 2000 .
[8] Kleinbauer W. E., The Origin and Functions of the Aisled Tetraconch Churches in Syria and Northern Mesopotamia, D.O.P. 27, 1972 .
[9] D. Sourdel, Les cultes du Hauran, 1952 .
[10] T. Bitar, Al-qiddissoun al-mansiyyoun fi al-turath al-antaki, Publications an-Nour, 1995, pp. 172-133
[11] H.C. Butter, Early Churches in Syria, 1929 .
[12] K. Butcher, Roman Syria and the Near East, 2003, p. 395 .
[13]L. Brehier, Les basiliques chrétiennes, Paris, Bloud, 1929 .
[14]R. Krautheimer, Early Christian and Byzantine Architecture, 1979. .
[15] Al-Nehmeh periodical, july 1911, pp. 162-169

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© Université de Balamand, Mise à jour mars 14, 2008